ALAIN HOUPERT : LE SENATEUR REBELLE
Par Catherine Massaut, magistrat en retraite
I- Nous sommes le 3/12/2020 en pleine » pandémie » du covid19. Soucieux du sort réservé aux personnes âgées vivant dans des Ehpad, le sénateur et médecin Alain Houpert a tweeté « on a tué les seniors au Rivotril, on les a fait mourir de solitude, et maintenant les survivants serviront de cobayes au vaccin… Si on reconnaît une société à la façon dont elle traite ses anciens, le gouvernement peut avoir honte ! ».
Le valeureux sénateur avait osé critiquer publiquement la stratégie sanitaire gouvernementale consistant – depuis un décret du 29 mars 2020 – à élargir l’usage du Rivotril destiné initialement à soulager des personnes en fin de vie, cette substance ne constituant certainement pas un remède contre le covid 19.
La réaction de l’ordre des médecins ne se fit pas attendre: considérant que le sénateur n’avait pas respecté ses obligations déontologiques, il répliqua : « la déontologie ne s’interprète pas à l’aune d’intérêt politique, en particulier, lorsqu’on est médecin et sénateur. L’ordre rappelle que leurs obligations déontologiques s’imposent aux médecins dans leur expression publique ».
Le 7 décembre 2020, le sénateur Alain Houpert, dans une lettre ouverte au ministre de la santé d’alors, Monsieur Olivier Véran, explique à ce dernier : « l’une des missions du sénateur que je suis et de contrôler l’action du gouvernement ».
En cela, et il pointe du doigt la qualité de la stratégie vaccinale du pays, ajoutant : « la vaccination est une des avancées majeures de notre science et, en tant que médecin, je ne peux qu’y souscrire. ».
Prenant fait et cause pour son confrère Houpert, le député docteur Joachim Son-Forget a déclaré sur le réseau Twitter, que « son expression, comme parlementaire, libre de toute pression extérieure, indépendante, qu’elle plaise, ou non, prévaut, sur toute appartenance corporatiste, ou autre, référentiel ne valant pas loi, pendant tout le temps de son mandat et c’est constitutionnel (sic)».
Condamné en première instance par l’ordre des médecins à une interdiction d’exercer pendant neuf mois, le radiologue sénateur Alain Houpert a interjeté appel de la décision.
La question qui se pose ici est relative à l’étendue du champ d’application de la liberté d’expression des parlementaires–sénateurs et plus précisément de savoir si les obligations déontologiques s’imposant aux médecins-sénateurs, limitent leur liberté d’expression en leur qualité d’élus du peuple ?
L’irresponsabilité parlementaire peut-elle faire obstacle au prononcé de sanctions disciplinaires par un ordre professionnel, tel que l’ordre des médecins ? Couvre-t-elle les propos tenus par les parlementaires sur les réseaux sociaux ?
II- L’article 26, alinéa 1er de la constitution du 4 octobre 1958 dispose : « aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté détenu, ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
Ce texte constitutionnel, plus connu sous la locution « d’irresponsabilité parlementaire », instaure – avec l’inviolabilité – l’une des deux dimensions des immunités parlementaires.
Cette disposition constitutionnelle protège la liberté d’expression des parlementaires en leur permettant d’assurer et d’exercer leurs fonctions librement, de façon indépendante de toute pression qu’ils pourraient avoir à subir si cette garantie constitutionnelle n’existait pas.
En effet, l’irresponsabilité du sénateur pendant la durée de son mandat traduit son libre exercice de la souveraineté nationale.… Aujourd’hui en perdition.
Cette irresponsabilité constitue une garantie nécessaire à la séparation des pouvoirs et une protection absolue au sein des démocraties représentatives modernes. C’est pourquoi elle doit être respectée scrupuleusement afin de placer son détenteur à l’abri de toute pression extérieure d’ordre institutionnel ou politique.
Ce texte constitutionnel est par ailleurs conforté par le premier alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action, contre « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ainsi que les rapports ou toute autre pièce, imprimés par l’ordre de l’une de ses deux assemblées ».
Cette irresponsabilité exorbitante du droit commun interdisant de poursuivre ou de condamner un parlementaire pour les votes et opinions émis dans l’exercice de ses fonctions, protège la liberté d’expression du député ou du sénateur.
Ces caractéristiques sont partagées par un grand nombre de démocraties représentatives telles que l’Allemagne, la Belgique, le Canada, l’Autriche, l’Italie, le Portugal, le Royaume-Uni, etc.…
En Italie, aux Pays-Bas, et au Portugal, cette protection absolue de vote et déclaration émis par les parlementaires dans l’exercice de leur mandat s’applique non seulement en séance comme en commission, mais également en dehors du parlement sous réserve bien sûr de « l’existence d’un lien fonctionnel entre l’acte incriminé et la fonction parlementaire »(Italie).
Il demeure qu’en France, le champ des opinions émises par les parlementaires susceptibles d’être protégés est singulièrement restreint à l’enceinte du cénacle.
Point de liberté dans l’Agora.
La cour de cassation, interprétant l’article 26 de la constitution – qui manque de précision sur l’étendue de l’irresponsabilité – en a décidé ainsi.
Son interprétation repose sur deux critères :
En premier lieu, la cour de cassation examine si l’acte a été accompli dans l’exercice de la fonction parlementaire, par référence aux titres IV (le Parlement) et V de la Constitution ( les rapports entre le Parlement et le gouvernement).
Il ne fait pas de doute qu’en l’espèce, le sénateur Alain Houpert a tenu les propos litigieux en qualité de parlementaire dans le cadre de ses fonctions d’élu et dans le strict respect de la norme constitutionnelle précitée.
En second lieu, la cour suprême apprécie si le député ou le sénateur a agi en tant que parlementaire, ou, dans un registre plus politique ou partisan, en tant que citoyen engagé.
L’interprétation jurisprudentielle française, très restrictive, comporte un décalage important avec la protection résultant des dispositions européennes relative à la liberté d’expression des parlementaires.
A cet égard, la Cour de Justice de l’Union Européenne ( CJUE) exige à propos de l’irresponsabilité des députés européens, « un lien direct et évident des propos litigieux avec l’exercice de fonction parlementaire », ce lien direct devant «s’imposer avec évidence ».
Selon le professeur Denis BARANGER « les juridictions françaises sont restées en retrait, en se concentrant sur une notion abrupte de la liberté d’expression, sans regarder, en quoi consiste la fonction des parlementaires ».
Ainsi, la CEDH a jugé contraire au droit de la liberté d’expression, la condamnation par la France du député Noël Mamère pour complicité de diffamation publique au motif notamment que «les propos tenus (…), relevaient de sujets d’intérêt général» et que Noël Mamère «s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou militante», laquelle permet «une certaine dose d’exagération, voire de provocation». ( cf arrêt CEDH 7 novembre 2006).
Dans le sillage de la décision précitée, la cour de cassation, a censuré la condamnation du député Christian Vanneste, pour délit d’injure et de provocation homophobes, en se fondant, non pas sur l’irresponsabilité parlementaire – les propos avaient été tenus dans deux quotidiens régionaux – mais sur le droit à la liberté d’expression, tel qu’il est garanti par l’article 10, de la CEDH et de sa jurisprudence. ( cf. Cour de Cassation 12/11/2008).
Cet arrêt signe l’alignement de la Cour Suprême concernant la notion d’acte détachable du service sur la jurisprudence européenne qui considère que le statut de représentant du peuple vaut quelques libertés d’expression élargies dans le cadre de son mandat et hors enceinte sénatoriale.
III- Reste un point de détail non négligeable : Noël Mamère et Christian Vanneste ne sont pas médecins. Et ne sont soumis à aucun ordre déontologique particulier.
Pour autant, les propos tenus par Alain Houpert es- qualité de sénateur qui défend les intérêts des citoyens, sont ils condamnables par un Ordre désuet, crée sous le régime de Vichy – dont chacun connaît le zèle à remplir la mission nauséabonde qui lui avait été assignée par son créateur – et partant, sa soumission au gouvernement en place ?
Ledit Conseil n’ignorant d’ailleurs pas que la sanction prononcée à l’encontre du sénateur et médecin Alain Houpert ne s’accorde ni avec l’article 26 alinéa premier de la constitution du 4 octobre 1958 – qui interdit tout jugement d’un parlementaire sans autre précision – ni avec le premier alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.)
Force est de constater que pendant la pandémie, le Conseil de l’Ordre des médecins n’a jamais défendu la liberté de prescription des médecins libéraux, interdits par décret de mars 2020 de prescrire le traitement préconisé par le Pr RAOULT ( association de l’hydroxychloroquine et de l’azythromicine) pour soigner les malades du covid 19 de façon précoce.
Mieux, il a sanctionné ceux qui le dénonçaient publiquement.
Plus tard il en fut de même pour l’interdiction de prescription du plaquenil et de l’ivermectine.
Cette instance ordinale a donc collaboré à la politique sanitaire dévastatrice pour ne pas dire criminelle d’un exécutif tout puissant, surtout quand on connaît aujourd’hui les succès de ces protocoles et les désastres induits par les injections nommées indûment « vaccin », dans le corps humain.
L’Ordre des médecins a délibérément failli à sa mission, trahi le serment d’Hippocrate et fort de sa position dominante, a utilisé la fonction de médecin de Alain Houpert en écartant arbitrairement celle de sénateur pour le priver de l’indépendance institutionnelle qui garantit sa liberté d’expression et ce, afin de justifier une sanction non seulement profondément injuste s’agissant de l’analyse des propos tenus, mais encore illégale au regard de la hiérarchie des normes.
Car l’Ordre – qui se fait juge – sait pertinemment que les propos tenus par le sénateur se bornent à constater et critiquer la « stratégie » gouvernementale en matière de politique sanitaire adoptée par un exécutif inapte et inepte.
Leur contenu est parfaitement conforme à ce que le citoyen peut attendre légitimement d’un sénateur qui sait observer un exécutif défaillant.
L’Instance ordinale, pour complaire au pouvoir macronien, a assigné le médecin pour bâillonner le sénateur.
En s’érigeant en JUGE , la juridiction disciplinaire cardinale AJOUTE à l’article 26 de la Constitution qui ne fait pas de distinction et dénature ce texte protecteur des libertés fondamentales.
Un pur « jeu de rôle » malsain et bassement politicien dont elle ne ressort pas grandie.
Pire encore, en agissant de la sorte, le Conseil de l’Ordre des médecins démontre qu’il n’a retenu aucune leçon de l’Histoire dans laquelle il a joué la partition que l’on sait et qu’il est disposé à se compromettre à nouveau avec un exécutif qui met en péril l’intégrité physique et morale des français.
IV – Il est un fait que les sénateurs exercent principalement leurs offices dans l’enceinte du prestigieux Palais du Luxembourg, mais que la multiplicité des moyens de communication et plus récemment des réseaux sociaux incitent ces derniers à exercer leur liberté d’expression protégée par la constitution hors du Cénacle.
Ne sont-ils pas élus pour défendre les intérêts du peuple qu’ils représentent ?
Alain Houpert a exercé sa liberté d’expression en qualité de sénateur dans le strict respect de sa mission, sans que puisse lui être reproché
« une faute détachable de son service ».
Et d’ailleurs, l’article 26 de la Constitution dispose que « … aucun membre du parlement ne peut être JUGÉ à l’occasion… des opinions et vote émis… dans l’exercice de ses fonctions.”
Qu’est ce qu’une section disciplinaire de l’Ordre des médecins si ce n’est un JUGE?
Il n’est pas juge pénal, il n’est pas juge civil, mais il est juge tout de même… l’ambiguïté du statut de cet Ordre disciplinaire au regard des termes stricto sensu de l’article 26 de la Constitution doit le conduire à se soumettre à sa lettre et à son esprit. Et donc à se démettre.
Et ce, en dépit des exigences de transparence et de déontologie affermies au fil des ans susceptibles effectivement de faire évoluer les situations conflictuelles.
L’Ordre des médecins ne saurait se substituer à la loi, à la Constitution et encore moins aux jurisprudences européennes portant sur la question de la liberté d’expression des parlementaires en condamnant le sénateur Alain Houpert. En se faisant JUGE de propos tenus par ce dernier parce que tenus en public, propos qui à n’en point douter auraient été protégés dans l’enceinte du Palais du Luxembourg.
L’article 26 précité protège, par sa lettre, son esprit et sa finalité, le Sénateur Alain Houpert de toute pression extérieure ( en particulier de l’ingérence institutionnelle de l’exécutif, du juge et de l’Ordre qui n’est au final que la créature administrative d’un exécutif had hoc issu des remous de l’Histoire).
Pour clore cette partie de la discussion, il n’est pas inutile de rappeler que cette liberté de parole exorbitante du droit commun octroyée aux parlementaires limite les risques d’instrumentalisation de l’action judiciaire à des fins politiques.
Aussi, en s’érigeant en JUGE, le conseil de l’ordre des médecins – collaborant avec l’exécutif – fait-il litière des modalités constitutionnelles protectrices de l’exercice serein du mandat représentatif du Sénateur et ce, d’autant que, (à tort ou à raison), l’institution judiciaire n’est pas considérée comme totalement indépendante, en France, du pouvoir exécutif.
VI – En revanche, il est constant que l’irresponsabilité ne couvre pas les actes et propos formulés en dehors des assemblées.
La jurisprudence de la Cour de cassation est ainsi posée. Ne sont pas rattachés à l’exercice du mandat parlementaire et donc ne sont pas couverts par l’irresponsabilité, les propos tenus par un parlementaire sur un réseau social.
C’est pourquoi le sénateur Alain Houpert ne peut faire prévaloir sur le fond, l’article 26 de la constitution, auprès de l’ordre des médecins.
Cependant, « comme l’affirme fort justement le professeur Denis Baranger « si les assemblées parlementaires sont les enceintes privilégiées où s’exprime la liberté politique de l’élu, elle n’en sont pas le lieu exclusif d’exercice. .. » Et de conclure, «la protection de la parole des députés et des sénateurs, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur les questions de politique nationale, devrait être protégée même en dehors de l’enceinte du parlement. Notamment à la télévision ou sur un réseau social».( cf : blog. Juspoliticum.com 8 janvier 2021, Elina Lemaire).
De même, le professeur Bertrand Mathieu a fait observer que «l’action politique ne peut être considérée comme s’exerçant exclusivement dans l’enceinte parlementaire». Constatant que les limites ainsi apportées à la liberté d’expression des parlementaires paraissent particulièrement dangereuses pour la liberté du débat politique, que la cour de cassation tend à encadrer étroitement, il a proposé d’inclure dans les propos protégés par l’immunité, tous ceux qui s’inscrivent dans un débat sur des questions politiques, questions qui relèvent de la compétence des parlementaires et sur lesquelles ils doivent pouvoir s’exprimer librement, sans être, enfermés dans le respect de dispositions législatives, dont ils sont légitimes à demander la modification et ce, non seulement devant leurs collègues, mais aussi devant leurs électeurs, et plus largement l’opinion publique.» (assemblée-nationale.fr, rapport d’information du 12 février 2020).
Et les voix des parlementaires, comme en l’espèce celle du sénateur Alain Houpert, revêtent une importance et une acuité particulières en ces temps troublés où l’exécutif Macronien composé de conseils scientifiques divers et d’agences de consultants privés, prive les français de voix divergentes et dissonantes indispensables à l’exercice du débat démocratique.
Voilà pourquoi il serait temps pour la France de se moderniser sur le plan institutionnel, de se doter de vrais contre pouvoirs (et non de relais soumis à une présidence erratique et tyrannique) en s’inspirant, notamment de la pratique italienne de l’activité parlementaire, selon laquelle l’irresponsabilité des élus concerne les opinions, exprimées et votes accomplis dans l’exercice des fonctions (projets et propositions de loi, amendements, motions, résolutions, autres, interventions connexes à l’activité parlementaire, y compris celle effectuées hors du parlement, sous réserve de l’existence d’un lien fonctionnel entre l’acte incriminé et sa fonction parlementaire». (Manque le guillemet de début) ( cf AN. fr, op. Cit).
C’est d’ailleurs, en ce sens que la proposition N 1 faite par les rapporteurs de cette étude prévoit : «étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires, aux propos, qu’ils émettent, en dehors des assemblées, dans le cadre de débat d’intérêt général en lien avec l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion des propos constitutifs d’injures publiques». (assemblée-nationale.fr, liste des propositions).
La parole sénatoriale, parce qu’elle est issue du peuple et qu’elle s’adresse au peuple, constitue un garde-fou contre la concentration des pouvoirs entre les mains d’un exécutif préoccupé uniquement par ses propres intérêts et indifférent à ceux du peuple de France.
Une confirmation de la condamnation par la juridiction disciplinaire d’appel de l’ordre des médecins à l’encontre du sénateur médecin Alain Houpert, reviendrait à museler – parce que dissidente – une voie salvatrice du peuple et pour le peuple, par méconnaissance de la lettre, du sens et de la portée de l’article 26 de la Constitution, par ignorance de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, par incompétence pour ne pas savoir l’impact de la jurisprudence européenne issue de la CEDH et par déni des libertés publiques auxquelles un nouveau coup de canif serait porté par une institution ordinale (et?) vassalisée qui se ferait abusivement le relais d’un exécutif de plus en plus controversé.