OTAN: LES LEÇONS OUBLIÉES DE L’HISTOIRE N’ÉCLAIRENT QUE LES ESPRITS DÉJÀ ÉCLAIRÉS
L’OTAN, créée en 1949 était une nécessité dans le contexte de la guerre froide. L’erreur cardinale des USA, parmi de nombreuses autres erreurs, a été de ne pas comprendre que l’effondrement du système soviétique avait pour conséquence un basculement du monde. De ne pas comprendre que la Russie d’après n’était plus la Russie d’avant!
A cet égard, il est plus que pertinent de relire George Kennan, notamment. Il n’a jamais cessé de prévenir et d’alerter au sujet de l’OTAN de l’après guerre froide. Mais il ne fut pas le seul, et de loin.
– George Kennan, donc, sans doute le plus grand stratège de politique étrangère des États-Unis, l’architecte de la stratégie américaine et théoricien de la doctrine du “containment” durant la guerre froide, déclara “La ratification par le Sénat de la première vague d’expansion de l’OTAN pourrait avoir les incidences suivantes. Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide, les Russes réagiront de façon assez négative et cela aura une incidence sur leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison à cela. Personne ne menaçait qui que ce soit “.
– John Mearsheimer, l’un des principaux experts en géopolitique aux États-Unis aujourd’hui, précisait déjà en 2015 : “L’Occident mène l’Ukraine sur la voie de l’onagre et le résultat final est que l’Ukraine va faire naufrage […] Ce que nous faisons, c’est en fait encourager ce résultat.”
– Henry Kissinger, considéré comme une rock-star par la jeunesse chinoise, a averti en 2014, que « pour la Russie, l’Ukraine ne peut jamais être un simple pays étranger » et que l’Occident a donc besoin d’une politique visant à la « réconciliation ». Il était également catégorique sur le fait que « l’Ukraine ne devrait pas rejoindre l’OTAN ».
– Strobe Talbott, ex-secrétaire d’état adjoint, a également décrit l’attitude russe. “De nombreux Russes voient l’OTAN comme un vestige de la guerre froide, qui est intrinsèquement dirigée contre leur pays. Ils soulignent qu’ils ont démantelé le Pacte de Varsovie, leur alliance militaire, et demandent pourquoi l’Occident ne devrait pas faire de même.”
– Jack F. Matlock Jr., ambassadeur des États-Unis en Union soviétique de 1987 à 1991, a déclaré en 1997 que “l’expansion de l’OTAN était l’erreur stratégique la plus profonde qui puisse se concevoir, encourageant une chaîne d’événements qui pourrait produire la menace la plus grave pour la sécurité depuis l’effondrement de l’Union soviétique ».
– Le secrétaire à la Défense de Clinton, William Perry, explique dans ses mémoires que pour lui, l’élargissement de l’OTAN est la cause de « la rupture des relations avec la Russie » et qu’en 1996, il s’y opposait tellement que « sous la force de ma conviction, j’ai envisagé de démissionner ».
– Robert M. Gates, Secrétaire à la Défense sous les gouvernements de George W. Bush et de Barack Obama, a déclaré dans ses mémoires qu’il croyait que “les relations avec la Russie avaient été mal gérées après le départ de George HW Bush en 1993”. Entre autres faux pas, “les accords des États-Unis avec les gouvernements roumain et bulgare pour la rotation des troupes dans les bases de ces pays ont été une provocation inutile.” Et précise dans dans ses mémoires de 2015 : “Agir si vite pour étendre l’OTAN était une erreur. [… ] Essayer d’amener la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN était vraiment exagéré et une provocation particulièrement monumentale”.
– Noam Chomsky, bien connu pour ses développements relatifs à “la fabrique du consentement” expliquait en 2015, que « l’idée que l’Ukraine puisse rejoindre une alliance militaire occidentale serait tout à fait inacceptable pour tout dirigeant russe » et que le désir de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN « ne protège pas l’Ukraine, mais menace l’Ukraine de guerre majeure.”
– Sir Roderic Lyne, ancien ambassadeur britannique en Russie, a averti il y a un an et demie environ que « pousser l’Ukraine dans l’OTAN [… ] est stupide à tous les niveaux ». Il ajoute « si vous voulez déclencher une guerre avec la Russie, c’est la meilleure façon de le faire ».
– Stephen Cohen, chercheur spécialisé en études russes, a averti en 2014 que « si nous déplaçons les forces de l’OTAN vers les frontières de la Russie […]. cela va évidemment militariser la situation [et] la Russie ne reculera pas, c’est existentiel ».
– Vladimir Pozner, célèbre journaliste russo-américain, a fait savoir en 2018, que l’expansion de l’OTAN en Ukraine était inacceptable pour les Russes, qu’il devait y avoir un compromis où « l’Ukraine, ne deviendrait pas membre de l’OTAN ».
– Jeffrey Sachs, économiste, a écrit une chronique dans le Financial Times, juste avant le début de la guerre, avertissant que « l’élargissement de l’OTAN est complètement malavisé et risqué. Les vrais amis de l’Ukraine et de la paix mondiale devraient appeler à un compromis entre les États-Unis et l’OTAN avec la Russie. »
– William J. Burns, directeur de la CIA, en 2008 : « L’entrée ukrainienne dans l’OTAN est la plus brillante de toutes les lignes rouges pour [la Russie] » et « Je n’ai encore trouvé personne qui considère l’Ukraine dans l’OTAN comme autre chose qu’un défi direct pour les intérêts russes ». Alors que Burns est officier politique à l’ambassade des États-Unis à Moscou, il signale à Washington que « l’hostilité à l’expansion précoce de l’OTAN est presque universellement ressentie dans tout le spectre politique national ici ». Donc à Moscou. Cette note est rappelée dans son livre,”The Back Channel” .
– Malcolm Fraser, ex-Premier Ministre australien, a fait savoir en 2014 que « le mouvement vers l’est par l’OTAN était provocateur, imprudent et un signal très clair à la Russie ». Ajoutant que cela conduisait à un « problème difficile et extraordinairement dangereux ».
– Paul Keating, ex-Premier Ministre australien, en 1997 : l’élargissement de l’OTAN est “une erreur qui peut se classer au final avec les erreurs de calcul stratégiques qui ont empêché l’Allemagne de prendre toute sa place dans le système international au début du 20ème siècle”.
– 50 éminents experts en politique étrangère, liste incluse dans l’article ont signé une lettre ouverte au Président Bill Clinton, En juin 1997, dans laquelle ils disaient : “Nous, soussignés, croyons que l’effort actuel des États-Unis pour élargir l’OTAN, qui a fait l’objet des récents sommets d’Helsinki et de Paris, est une erreur politique de proportions historiques. Nous croyons que l’expansion de l’OTAN réduira la sécurité des alliés et déstabilisera la stabilité européenne pour les raisons suivantes :…”
On peut en conséquence se demander si, à l’instar de George F. Kennan, l’avancée de l’OTAN vers l’Est a accru la sécurité des États européens ou les a rendus plus vulnérables…Une explication possible et partielle de l’inflexibilité de l’Occident tiendrait au fait que ses dirigeants seraient perclus d’idées développées lors de la guerre froide mais maintenues en l’état sur la finalité intrinsèque de l’OTAN. Ayant admis trop longtemps que l’expansion de l’OTAN était un facteur de paix en Europe, ils ne peuvent admettre en conséquence l’argument russe selon lequel, en fait, l’OTAN est une force déstabilisatrice sur le continent.
Imaginons un seul instant, bien que cela nous apparaisse totalement inconcevable, que si Macron, Scholz ou tout autre dirigeant européen venait à expliquer à leurs auditoires respectifs que l’expansion de l’OTAN est la cause profonde de la crise actuelle en Europe, il serait alors aisé d’imaginer qu’une tempête politique s’en suivrait. Les accusations de faiblesse, de négligence et “d’apaisement”, notamment, surgiraient spontanément, sachant, de plus, que les accusations de “subversions russes” ne sont pas une simple vue de l’esprit. Il était donc clair, et depuis longtemps, que l’expansion de l’OTAN entraînerait une tragédie.
L’histoire montrera que le traitement que Washington a réservé à la Russie dans les décennies qui ont suivi la fin de l’Union soviétique était une erreur politique cardinale, comme rarement vue dans l’Histoire. Sauf à considérer qu’il s’agissait de la part des USA d’une volonté délibérée d’agresser la Russie, il était tout à fait prévisible que l’expansion de l’OTAN conduise finalement à une rupture tragique et violente des relations avec Moscou. Nombreux sont les analystes perspicaces ont mis en garde contre ses conséquences probables, mais ces avertissements sont restés lettre morte. Nous payons maintenant le prix de la myopie et de l’arrogance de la politique étrangère américaine, sinon de son hubris.
La clairvoyance de quelques-uns ne suffit pas et ne suffira pas à modifier la perception des aveugles parfaitement inconscients de la manipulation qu’ils subissent et dont ils sont l’objet. Il est vrai que l’occident est passé maître en matière de fabrique du consentement. Gustave Lebon fut un précurseur ainsi que Edward Bernays (https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/10/03/edward-bernays-et-louis-ferdinand-celine-face-au-conditionnement-moderne-par-nicolas-bonnal/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=les-newsletter-total-derniers-articles-de-notre-blog_1409) a su comprendre, utiliser et rafiner ces techniques. Il serait aussi pertinent de lire également Walter LIppman ou Noam Chomsky sur ce qu’il est également convenu d’appeler “Ingéniérie sociale” ou “relations publiques” pour reprendre des termes utilisés par Bernays lui-même.
Les leçons à en tirer? Les leçons oubliées de l’Histoire n’éclairent que les esprits déjà éclairés.
Yves Chauvel le 12 octobre 2022
Principaux liens (Liste non exhaustive) utilisés à fin de rédaction de cet article. L’OTAN poursuit son expansion à l’Est, vers la Russie
https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/feb/28/nato-expansion-war-russia-ukraine
https://peterbeinart.substack.com/p/bidens-cia-director-doesnt-believe
https://peterbeinart.substack.com/p/bidens-cia-director-doesnt-believe